POURQUOI LA MUSIQUE EST-ELLE SPECIALE PARMI LES ARTS ET COMMENT UN MOTEUR DE RECHERCHE PEUT-IL AIDER A CONNAITRE SES SPECIFICITES?
Depuis l’Antiquité, de nombreux philosophes, compositeurs de musique et chercheurs se sont interrogés et ont interrogé leurs pairs afin de déterminer quelle est la nature de la musique. La plupart du temps, les philosophes ont donné des explications relatives à l’essence de la musique et les musiciens, qui incarnent littéralement la musique, en ont démontré les effets. Ou l’inverse. Quoi qu’il en soit, parmi les philosophes, deux tendances parlant de l’essence de la musique ont obtenu les faveurs des spécialistes et du public. La première est la “musique absolue”. Pour les défenseurs de cette théorie, l’essence de la musique est de se référer à elle-même, d’être contenue en elle-même et d’être autonome: cela signifie que la musique fonctionne avant tout dans sa propre sphère, la sphère musicale. Cette théorie est soutenue par le fait que la musique, contrairement à la peinture par exemple (en tout cas la peinture jusqu’au 19e siècle), n’a jamais représenté aucune réalité extérieure de manière directe, sa forme étant de ce fait égale à son contenu. Ceci dit, la musique peut-elle vraiment être absolue? Les partisans de l’idée selon laquelle la musique n’est pas absolue, mais qu’elle est produite pour satisfaire des besoins humains, quels qu’ils soient, disent que non: par exemple, c’est pour rembourser un prêt que Mozart écrivit ses sonates dites “faciles” (dont KV 545, Sonata Facile, I, Allegro, for piano). Ces pièces n’ont donc pas été écrites pour l’amour de l’art, mais pour des raisons économiques.
En fait, la question de l’essence de la musique est complexe: des aspects comme les effets qu’elle produit sur les auditeurs, ainsi que les liens entre ses formes et ses contenus, en font partie. Concernant les effets, Pythagore (5e sècle ACN) a créé le concept de résonnance isomorphique, qui dit qu’il est impossible de juger la musique via le seul sens de l’ouïe: la musique peut être appréciée seulement par l’esprit. Aristoxenus (qui vécut durant le 4e siècle ACN et fut un élève d’Aristote) préféra approcher la musique en tant qu’expérience plutôt qu’en tant qu’objet et, au contraire, dit que les perceptions de l’oreille jouent un rôle important dans l’appréciation de la musique. Pour lui, l’essence de la musique ne peut pas être expliqué sans référence aux effets qu’elle produit sur les auditeurs. Durant le Moyen-Age, la contribution de Boèce (13e siècle PCN) est notable. Il parla de “musica instrumentalis”, littéralement: “musique résonnante” (‘sounding music’), une musique réconciliant l’esprit et les sens. Pour lui, les auditeurs de musique ont un “oeil de l’esprit” (‘mind’s eye’), une sorte d’intermédiaire entre la connaissance issue des sens et le savoir qui provient de la réflexion intellectuelle. Cette approche semble équitable: les musiciens aiment savoir comment les mélodies sont structurées, aussi bien qu’ils aiment les jouer et les auditeurs de musique eux aussi peuvent être curieux. L’esprit de l’auditeur répond aux sons physiques, tout d’abord, et pas à la forme de la musique, qui est analysée ensuite.
Plus tard, Adam Smith, l’économiste du 18e siècle, bien connu notamment pour son ouvrage “La Richesse des Nations”, a appelé l’effet que la musique instrumentale a sur l’esprit humain son expression, ajoutant que l’effet de la musique est purement musical: la musique ne signifie et ne suggère rien d’autre qu’elle-même. Adam Smith était, c’est aisé à comprendre, un partisan de la théorie de la musique absolue. Le 19e siècle a vu émerger des concepts tels que la “musique pure” (‘pure music’) sous la plume du critique musical Eduard Hanslick, qui définissait la musique comme un art absolu du ton. Liszt, au contraire, a créé l’expression “musique de programmation” (‘program music’) pour nommer les pièces de musique ayant un titre évocateur et, de ce fait, orientant l’attention des auditeurs vers un objet culturel (cf par exemple ‘Years of Pilgrimage’, including S. 161, Années de Pèlerinage, II, Sonetto 123 del Petrarca).
Au 20e siècle, la bataille fit rage entre les partisans de la musique absolue et ceux de la musique de programmation. Stravinsky choisit de défendre la musique absolue, disant que la musique a une valeur intrinsèque qui ne peut pas être réduite aux images qu’elle évoque. Debussy (en particulier avec le titre L 86, Prélude à l'Après-Midi d'un Faune) fut un fervent défenseur de la musique de programmation. De nos jours, après une nouvelle montée de la musique absolue entre 1945 et 1970, en vue d’oublier comment la musique de programmation fut liée à la politique durant la Deuxième Guerre Mondiale, l’ère dite post-moderne a choisi de combiner les deux approches.