7. L'invention de la technique lithographique, en lien direct avec l'impression de partitions de musique
A. Les premiers essais d'Aloys Senefelder, inventeur de la technique lithographique
L'art de la lithographie fut mis au point en 1796, par Aloys Senefelder, un écrivain de théâtre professionnel né à Prague, ayant étudié à Munich et actif dans cette ville jusqu'en 1834. Parce qu'il manquait de ressources financières pour faire imprimer ses pièces de théâtre à échelle, il conçut l’idée de chercher une nouvelle manière d’imprimer moins coûteuse et de s’associer à un ami qui possédait une imprimerie d’estampes, pour graver à l’eau-forte ses ouvrages sur le cuivre, et les imprimer ensuite de manière ordinaire. Il se servit d’une plume d’acier très mince et élastique, qu'il avait appris si bien à manier, que, quoiqu’il soit plus difficile d’écrire sur le cuivre que sur le papier, il fut bientôt en état de peindre avec exactitude et rapidement chaque caractère moulé séparément. Cependant, dès ses premiers essais, il vit qu’il serait impossible d’écrire une page entière sans faire quelques fautes, qu’il serait obligé de corriger, s'il ne voulait pas tirer des exemplaires fautifs et incorrects. Pour faciliter et simplifier les corrections, il imagina de prendre des quantités égales de cire et de savon avec un peu de noir de fumée, une poudre à base de carbone, de mêler le tout ensemble, et de faire dissoudre ce mélange dans de l’eau de pluie. Cette composition répondit parfaitement à son attente. Ainsi naquit cette encre chimique si importante pour la lithographie, et qui, amalgamée par la suite avec d’autres ingrédients, à des proportions convenables, fut encore améliorée.
En continuant ses essais, Senefelder trouva bientôt qu’il était plus facile d’écrire sur la pierre que sur le cuivre, et qu’on y formait beaucoup mieux et plus aisément les caractères; cela le fit réfléchir sur les moyens qu'il devait employer pour parvenir à imprimer à l’aide d’une pierre gravée à l’eau-forte. Il se rappela vers cette époque, qu’à l’âge de cinq ou six ans, il avait vu à Francfort ou à Mayence une imprimerie musicale, où les notes étaient gravées sur une ardoise noire. Il présuma que l'essai qu'on avait fait dans ce temps-là de graver la musique sur l’étain, et qu’on regardait alors comme un secret, avait dû donner à quelqu'un l’idée de faire des essais sur la pierre argileuse, mais qu'on avait probablement abandonné ce procédé, à cause de l’extrême fragilité des planches de cette matière et de la difficulté qu’on éprouve à y graver, attendu que c’est une espèce de pierre à émoudre qui use très vite tous les outils, tandis que l’étain est facile à graver.
Un jour qu'il attendait du papier, et qu'il venait de dégrossir une planche de pierre pour y passer ensuite le mastic et continuer ses essais d’écriture à rebours, Senefelder écrivit sur la pierre qu'il venait de débrutir, en se servant à cet effet de son encre composée de cire, de savon et de noir de fumée. Quand il voulut essuyer ce qu'il venait d’écrire, il lui vint tout d’un coup l’idée de voir ce que deviendraient les lettres qu'il avait tracées avec son encre à la cire, en enduisant la planche d’eau-forte, et aussi d’essayer s'il ne pourrait pas les noircir comme l’on noircit les caractères de l’imprimerie ou de la taille de bois, pour ensuite les imprimer. Il mêla une dose d’eau-forte avec dix doses d’eau, et il versa ce mélange sur la planche écrite. Il examina alors l’effet opéré par l’eau-forte, et il trouva que les lettres avaient acquis un relief à peu près d’un quart de ligne. Tous les essais qu'il fit ensuite pour les écritures sur la pierre lui réussirent beaucoup mieux que ceux qu'il avait faits précédemment en creux. Il encrait avec bien plus de facilité et, pour l’impression, il ne lui fallait pas le quart de la force qu’exigeait la méthode creuse; ce qui faisait d'ailleurs que, de cette manière, le risque que les pierres ne se brisent était fortement diminué.
B. Partenariat entre Aloys Senefelder et le compositeur Franz Gleissner
Cette manière d’imprimer était une découverte toute nouvelle, que personne n’avait encore faite avant Senefelder. Il pouvait donc espérer qu’elle lui ferait obtenir un brevet d’invention du gouvernement, peut-être même des subsides. Il lui vint en même temps l’idée que sa découverte pourrait aussi être appliquée avec succès à l’impression des notes de musique. Il en fit voir quelques épreuves à un musicien de la Cour de Munich du nom de Franz Gleissner, qui lui dit sur le champ qu’il était prêt à former avec lui un établissement d’imprimerie musicale. Senefelder accepta ses offres avec empressement, et ils établirent une lithographie en 1796. La première œuvre imprimée fut une composition de Gleissner. Senefelder et Gleissner imprimèrent avec un succès inégal différentes compositions musicales, tant pour leur compte que pour celui d' un éditeur de musique nommé Falger, installé à Munich. Ce travail leur fit imaginer plusieurs sortes de presses, parmi lesquelles on distingue surtout la presse à branches. L'impression lithographique, dès cette époque, coûtait cinq fois moins cher que la gravure sur cuivre.
Un responsable éducatif chargé de publier des livres éducatifs du nom de Steiner résolut de s’adresser à Senefelder pour imprimer divers cantiques d’église pour les écoles; il lui demanda s'il ne pourrait pas graver ou tailler dans la pierre la musique de ces cantiques, de manière qu’on pût les faire imprimer par la presse ordinaire de l’imprimerie. Senefelder promit d’essayer, mais la profondeur qu’exigeaient les intervalles et les côtés étaient beaucoup plus difficile à creuser sur pierre que sur bois. En attendant, Steiner et lui prirent le parti de faire d'abord imprimer les paroles, au moyen d’une presse ordinaire, et ensuite les notes à la place qu’elles devaient occuper, avec des planches de pierre et la presse lithographique. L’expérience avait appris à Senefelder, quand il faisait des notes de musique, que le meilleur moyen de réussir, était de commencer par les tracer à rebours sur la pierre avec un crayon: c’était presque toujours l’affaire de Franz Gleissner, qui, comme habile musicien, avait acquis, une grande perfection en ce genre. Une symphonie composée par Gleissner fut prête avant que Senefelder n’eusse découvert une nouvelle méthode d’impression, il n’y manquait que le titre, qui fut gravé à la pointe dans la pierre, ce qui produisit un bon effet.
Notons, sur le plan technique, l'existence, dans la technique lithographique de Senefelder, de l’instrument à notes, un petit tuyau de cuivre ou d’argent ayant, au bas, la forme des notes de musique, et pouvant contenir une quantité d’encre chimique suffisante pour faire environ vingt corps de notes sans être obligé d’en remettre. Cet instrument sert à tirer les cinq lignes des notes.
C. Partenariat entre Aloys Senefelder et l'éditeur de musique Johann Anton André
En 1800, Senefelder avait déjà déposé au bureau des brevets de Londres une explication détaillée de son invention, ainsi que de quelques autres moins connues. En 1802, Senefelder fit de même à Paris et obtint un brevet. Il envoya un de ses frères dans cette ville afin d'y diriger une lithographie, qui n'eut cependant pas le succès escompté. En 1803, Senefelder fit également un dépôt à la régence de la basse Autriche, après en avoir reçu un privilège. Il avait découvert l’année précédente la presse à branches, avec laquelle il pouvait tirer plusieurs milliers d'exemplaires d'une même œuvre en une journée. Cette nouvelle presse, jointe à la nouvelle manière de se servir de la pierre, le mit en état d’agrandir son établissement. Il prit deux de ses frères avec lui, il leur apprit à écrire et à graver sur pierre, il prit aussi deux apprentis pour les former à l’impression.
A la même époque, en 1799, Maximilien Joseph, IV de Bavière, accorda à Senefelder et Gleissner un privilège exclusif pour quinze ans. C'est alors qu'arriva à Munich Johann Anton André, un éditeur de musique actif à Offenbach et qui venait juste d'acquérir, auprès de son épouse, Constance, désormais veuve, les droits d'imprimer 270 compositions de Mozart encore à l'état de manuscrits, dont celui de la Flûte Enchantée. Cet éditeur lut dans la gazette de Munich l’annonce du privilège reçu par Senefelder et Gleissner; il s’informa de la nature de la nouvelle méthode d’impression auprès de ceux-ci. Senefelder et Gleissner lui montrèrent différentes pièces de musique qu'ils avaient imprimées, et lui proposèrent de visiter leur lithographie. Là, il pourrait examiner les choses lui-même un peu plus en détail. L'éditeur, qui était un des plus personnages clés de l'industrie de la partition de musique dans son pays à l'époque, et propriétaire d’une belle imprimerie musicale, fut enchanté des résultats obtenus au moyen de la lithographie, et surtout de ce qu’en passant la main sur les notes, elle ne la lui salissait pas, comme cela arrivait alors souvent lorsque avec la gravure sur plaque en étain. L'attention particulière avec laquelle Johann Anton André s’informait des moindres détails fit voir à Senefelder qu’il prenait un intérêt particulier à sa manière d’imprimer. Des planches qui étaient déjà écrites furent gravées et imprimées devant lui, et réussirent parfaitement. L’habileté avec laquelle les membres de la lithographie opéraient permit d’imprimer soixante-quinze pages en un quart d’heure, et deux à la fois. La vitesse avec laquelle les feuilles séchaient, et le peu de couleur qu’on y employait, tout aviva l’intérêt de Johann Anton André au plus haut degré. Dans son enthousiasme, l'éditeur demanda à Senefelder de lui enseigner son art dans toute son étendue, en échange d'un paiement conséquent. Senefelder accepta sa proposition, et convint avec lui de se rendre, quelques mois plus tard à Offenbach afin d'y établir une lithographie. Johann Anton André y employa une encre spéciale se conservant particulièrement bien, un mélange de gomme laque, de mastic, de savon fait avec de la graisse de bœuf, de soude cristallisée et épurée et de noir de fumée. Senefelder quitta l'éditeur, pour former, à Vienne, un nouvel établissement avec son premier associé. Il obtint dans cette capitale un privilège exclusif, qu'il laissa en 1806, à une personne avec qui il avait fait un contrat très désavantageux pour lui, parce qu'il préférait s'occuper sans relâche de l’amélioration de la technique lithographique.